Si nous ne faisons rien, nous n'aurons plus un poisson d'ici 30 ans! (Stephan Beaucher)

Notre ami Stephan Beaucher, coordinateur politique de Océan 2012 et vice président du Collectif Bar Européen fait ci dessous un point des discussions sur la future nouvelle politique commune des pêches ou il est très actif.

 

Pêcheries européennes : le Parlement met un grand coup de pied dans la fourmilière mais le Conseil reste sourd

Après plus de trois années (la sortie du livre vert remonte (déjà !) à avril 2009) la réforme de la PCP  (Politique Commune des Pêches) entre dans sa phase finale, celle de la décision politique et des votes.

Depuis près de trois décennies, la surpêche a fait son œuvre: les stocks sont sérieusement endommagés (62% des stocks atlantiques et 83% de ceux de Méditerranée sont en état de surexploitation) et mené à la ruine des pans entiers de la pêche européenne (la pêche française n’emploie plus que 13 000 personnes, soit 40% de moins qu’en 2000).

Les hasards du calendrier politique font que deux évènements majeurs intervenus les 18 et 19 décembre derniers vont vraisemblablement changer la donne.

Coup de tonnerre au Parlement

Mardi 18 décembre, la commission Pêche du Parlement Européen s’est prononcé sur cette réforme très attendue parce que nécessaire. En vertu du Traité de Lisbonne, les députés européens ont maintenant un rôle clé alors qu’auparavant la Commission était seule souveraine en matière de pêche. Lors du Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, les états-membre s’étaient engagé à restaurer les stocks en 2015 et il était temps de passer enfin de l’évocation aux actes. C’est chose faite. Avec 13 voix pour, 10 contre et 2 abstentions, les députés européens de la commission pêche ont inscrit la réforme sur la voie d’un changement radical de vision et de pratiques. Sur les enjeux majeurs, le Parlement a su faire preuve d’une audace qu’on lui a rarement connue.

  • La surcapacité (différentiel entre la capacité technique de capture et les possibilités règlementaires de capture) devra être éliminée.
  • Le rendement maximal durable (possibilité de prélèvement ne portant pas atteinte à la pérennité biologique des stocks) devra être atteint en 2015 et une marge de précaution devra être intégrée au plus tard en 2020.
  • Les rejets en mer, un des thèmes les plus controversés lors des trois années de débat qui ont précédé ce vote, seront l’objet d’une interdiction graduelle entre 2015 et 2019. 

Bien sûr, le chapitre des regrets n’est pas vide avec notamment le retoquage des unités de gestion territoriales qui auraient apporté une bonne dose de décentralisation dans la gestion opérationnelle des pêcheries.

La réplique d’Europêche, le lobby de la grande pêche ne s’est pas fait attendre :

"Ces propositions vont au delà des avis scientifiques" et privilégient une nouvelle fois les recommandations environnementalistes, au détriment des facteurs économiques et sociaux. »

Au Conseil des ministres RAS

Ce même jour, les ministres des pêches des états-membre dont le nôtre, Monsieur Frédéric Cuvillier en tête, entamaient le désormais rituel "marathon" pour fixer les quotas autorisés lors de la campagne de pêche 2013. Sur les dix dernières années, le cumul des autorisations de capture a dépassé de 40% les préconisations des scientifiques pourtant mandatés par la Commission Européenne pour émettre des avis.

Là encore, Europêche était à la manœuvre et faisait pression sur les ministres pour rejeter les recommandations de la Commission pour les captures de baudroie, cabillaud, merlu, aiglefin,  sole et cardine. En jouant la carte de l’économie et de l’emploi (qui par parenthèses commence à être usée jusqu’à la corde tellement elle a été utilisée ces trente dernières années). "Les réductions des totaux admissibles de captures (TAC) pour de nombreux stocks affecteront à coup sur la viabilité des entreprises du secteur et conduiront à une réduction du nombre d'emplois dans toute la filière".

Après le vote du Parlement, on voyait mal comment le Conseil pouvait persévérer dans les dérives clientélistes et régaliennes d’un autre âge. Dans le même ordre d’idées, pouvaient-ils rester dans l’arrogance parfois mâtinée de dédain avec laquelle ils ont souvent traité le monde scientifique ? Allaient-ils rester sourds après le coup de semonce envoyé par le Parlement situé à un jet de pierre du lieu de leurs tractations opaques?

Eh bien ils ont fait comme si le Parlement n’avait pas voté le matin même ! Plusieurs TAC attribués dépassent fortement la recommandation scientifique :

  • Merlu du nord (+21%)
  • Baudroie (+49%) et églefin  de mer Celtique (+49%)
  • Langoustine du Golfe de Gascogne (+22%).

Bien souvent, il s’agit de stocks qui montrent de fragiles signes de reconstitution. Mais les pêcheurs auraient tort de se réjouir des mesures prises. Les quotas généreux d’aujourd’hui se retrouveront dès demain sous la forme de baisses ou de plan d’urgence.

De quoi l’année 2013 sera-t-elle faite ?

Derrière les décisions qui vont être prises ces prochains mois, c’est ni plus ni moins l’avenir des stocks européens et des stocks exotiques exploités par les flottes européennes et celui des communautés côtières qui en dépendent qui se profile. La gestion des pêches est avant tout et plus que jamais un exercice d’ingéniérie sociale qui se situe au cœur d’enjeux politiques plus larges. Nos décideurs doivent intégrer au plus vite cette dimension radicalement innovante par rapport à la gouvernance au rabais qu’ils ont toujours exercée et montrer qu’ils ont pris la réelle mesure de la responsabilité qui est la leur. Même si elle est plus que jamais délicate,  la situation n’est pas pour autant sans issue. En effet, la surpêche résulte de choix politiques et elle n’est en aucun cas une fatalité. Là ou l’avis scientifique est respecté, la situation s’améliore comme l’a confirmé la Commission dans sa communication de juin dernier.

Dans une récente étude, la New Economics Foundation met en lumière ce que la surpêche fait perdre à nos économies européennes en terme de stocks, de revenus et d’emplois. Le bilan est implacable :

  • Chaque année, nous “passons à côté” de 970 000 tonnes de morue et de 854 000 tonnes de harengs.
  • La restauration de 43 stocks atlantiques génèrerait 3,2 milliards d’Euros de revenus et 100.000 emplois pérennes (dont 6 000 rien que pour la France).
  • La valorisation pour les pêcheurs augmenterait tandis qu’à l’inverse, le prix payé par le consommateur baisserait.

Qui peut dire que nous les moyens de dédaigner une telle manne?

Bien sûr le vote de mardi ne constitue que la première pierre de la réforme et les orientations adoptées devront être confirmés lors d’une vote en plénière (754 députés) qui devrait intervenir en mars prochain puis lors des négociations avec la Commission et le Conseil. Toutefois, on voit mal ces deux institutions prendre la responsabilité de réveiller une querelle de légitimité entre le corps législatif (les élus) et l’exécutif (les fonctionnaires européens de la Commission). Si une telle hypothèse devait se confirmer, l’Union Européenne serait dans une crise politique majeure. Or elle a su, face à la crise, maintenir tant bien que mal le peu de cohésion politique qui est la sienne. On la voit mal "exploser" pour une "bête" question de pêche. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’en a pas les moyens…

Ce qu’il va falloir maintenant, c’est une bonne dose de courage politique, celui qui a manqué sur les 30 dernières années, celui dont l’absence a enfermé les décisions dans les intérêts de court terme. Les députés européens disposent de l’espace politique pour le faire car la bonne santé des océans est une idée qui fait son chenin dans les préoccupations de l’opinion publique. À eux de l’occuper ! S’ils ne le font pas, nous aurons tous perdu la partie…

Stephan Beaucher

 

Note du webmaster. Stephan est l'auteur du livre "Plus un poisson d'ici trente ans" que vous pouvez lire pour mieux comprendre les enjeux de la futre PCP Si vous ne trouvez pas chez votre libraire, vous pouvez le commander directement chez l'éditeur

Stephan à La Rochelle au mois de juillet lors de notre réunion contre la surpêche

Stephan Beaucher à La Rochelle juillet 2012

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